Jean-Pierre Nadau – Dessins à dessein
Mot de l’éditeur :
En 1986, Jean-Pierre Nadau abandonne définitivement le théâtre. Il s’imaginait comédien, après trois années de cours Dullin à Paris, mais « il y avait comme une erreur de casting ». La rencontre avec Chomo, l’ermite de la forêt de Fontainebleau, précipite la mutation. Elle n’en est pas la cause, juste le déclencheur. L’année suivante, Nadau réalise sa première grande toile à l’encre de Chine avec une plume Sergent-Major : trois mètres sur deux mètres quarante. Le « passage de la scène à la surface », comme l’écrit Christian Berst, s’accomplit. Depuis, il n’a jamais cessé. Nous présentons dans ces pages un artiste dont l’œuvre défie les catégories établies, mêlant automatisme et rigueur quasi mathématique.
Cette transformation ne relève pas du hasard. Nadau pratique désormais ce que Berst nomme une « pratique de scarification minutieuse » de toiles monumentales. Amazonie, par exemple, mesure onze mètres de long : un Paris fantasmé en noir et blanc fusionne avec une jungle mythologique. Un an de travail. Un litre d’encre. Des dizaines de plumes usées. Roger Cardinal y voit une « fabuleuse célébration de la fluidité d’une fantaisie débridée ». Mais cette fresque porte aussi des inscriptions, des phrases lisibles : « La Seine, c’est là ma zone, l’Amazone c’est là ma scène. » Nadau tisse récits et signes dans une même trame.
Car cette « fantaisie » s’accompagne d’une discipline surprenante. L’artiste invente des systèmes signifiants entiers : les Exuvies (quatre mille pictogrammes tous différents), les Écritures Yllitnahc. Autant d’alphabets d’une civilisation qui n’existe pas, ou pas encore. Ces signes donnent l’illusion d’un déchiffrement possible, puis déjouent nos tentatives. Comme le notait Christian Berst, « l’improvisation est sa règle, mais une improvisation disciplinée, maîtrisée ». Une rêverie insolente tenue en laisse.
D’où vient cette tension productive ? Nadau occupe une position singulière. Proche de l’art brut par son intensité compulsive et son autodidaxie, il s’en distingue par une conscience culturelle aiguë : Augustin Lesage, Henri Michaux, Lewis Carroll nourrissent son imaginaire. Jean-Paul Gavard-Perret saisit bien ce paradoxe : l’artiste « note en direct le chaos du dedans » tout en maintenant une distance ironique, parfois satirique.
Cette œuvre interroge nos certitudes. Dans un monde saturé d’images instantanées, Nadau oppose la patience monastique d’un geste répété pendant des mois. Ce livre vous invite à parcourir ses fresques-mondes, à vous perdre dans leurs labyrinthes. À reconnaître, peut-être, que certaines langues ne se parlent qu’avec une plume d’écolier.
21,5 x 28 cm
112 pages
Couverture souple à rabats
isbn 978-2-35532-462-8
30 €
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